Analyses

Climat, numérique, IA : les employeurs à l'heure des transitions

Dérèglement climatique, chocs énergétiques, intelligence artificielle, robotisation : les défis à relever ne manquent pas pour les entrepreneurs. Pour la deuxième édition de l’enquête « Le travail en transitions » de l’Unédic, le cabinet Elabe a sollicité des dirigeants d’entreprise ou membres d’un comité de direction afin de mettre en lumière leurs perceptions sur les enjeux des transitions écologique et numérique, notamment en matière de formation et d’employabilité des salariés.

Unédic

Adrien Gaboulaud

21 mars 2024

Toutes les entreprises ne sont pas égales face aux bouleversements contemporains. A l’heure où le dérèglement climatique ou les progrès de l’intelligence artificielle façonnent de plus en plus les discours sur le travail, l’Unédic a souhaité interroger les dirigeants et dirigeantes d’entreprise sur leurs perceptions de deux défis simultanés mais de nature différente : les transitions écologique et numérique (voir encadré).

  • Comment ont été définies les transitions ?

    Le terme « transition écologique » a été précisé en début de l’entretien pour l’enquête afin de circonscrire le sujet comme étant « l’évolution dans les 5 prochaines années vers un modèle économique et social qui apporte une solution globale et pérenne aux grands enjeux environnementaux ». 

    Concernant la « transition numérique », elle a été présentée comme suit aux répondants : « L’intégration dans les 5 prochaines années de la technologie numérique dans l’entreprise comme l’intelligence artificielle, la robotisation, l’automatisation, l’analyse de données ».

Pour cette deuxième édition de l’étude « Le travail en transitions », le cabinet Elabe a interrogé 402 dirigeants d’entreprise d’au moins un salarié en France métropolitaine (retrouvez l'intégralité des résultats et la méthodologie de l'enquête en cliquant sur le bouton « Télécharger » au bas de cette page).

A lire : La première édition de l'étude « Le travail en transitions », consacrée aux perceptions des actifs sur la transition écologique

Dans l’ensemble, les dirigeants d’entreprises déclarent en majorité (55%) être impactés par au moins une des deux transitions considérées. Six sur dix affirment que leur entreprise n’est pas prête à faire face à au moins une des transitions et quatre sur dix déclarent que leurs salariés ne possèdent « pas du tout » les compétences et connaissances nécessaires pour la transition écologique ou la transition numérique. Ces résultats d’ensemble masquent cependant de grandes disparités entre les entreprises. « Les entreprises françaises sont d’une très grande hétérogénéité. Les transitions écologique et numérique ont des implications extrêmement différentes selon les secteurs et les tailles d’entreprises, note Laurence Bedeau, associée au cabinet Elabe. Les très petites entreprises sont très majoritaires et elles sont toujours moins bien outillées pour appréhender les changements. »

La transition écologique a déjà un impact

En examinant séparément les enjeux écologiques et ceux de la transformation numérique, un tableau nuancé apparaît. La transition écologique a déjà un impact « fort » aux yeux de 42% des dirigeants d’entreprise, une proportion qui grimpe à 79% pour les sociétés de 250 salariés et plus. Un résultat à mettre en regard de la première édition de l’enquête « Le travail en transitions », qui avait révélé en 2023 que les actifs anticipent un fort impact de la transition écologique sur l’organisation et les modalités de leur travail.

Les dirigeants d’entreprise sont 59% à estimer que leur entreprise est « prête à faire face aux conséquences de la transition écologique », une proportion élevée qui cache cependant de fortes différences. Ainsi, les entreprises de 250 salariés et plus paraissent mieux préparées (81% de leurs dirigeants les jugent « prêtes »). Des différences sectorielles apparaissent nettement. Alors que 71% des dirigeants de l’industrie jugent leurs entreprises prêtes, la proportion tombe à 49% dans le secteur de la construction.

Face à ce défi, l’opérateur de compétences (Opco) Constructys est en première ligne. Cette structure paritaire, au service des entreprises et salariés du bâtiment, du négoce des matériaux de construction, du négoce de bois et des travaux publics, revendique un fort engagement pour la transition écologique. « Gardons à l'esprit que 90% des entreprises de notre secteur sont des TPE. Ces entrepreneurs, submergés par un flot constant d'informations, d'objectifs, de normes et de réglementations en direction de la transition écologique, les ressentent souvent comme des contraintes bureaucratiques et financières supplémentaires », explique Sébastien Bouleau, directeur général de Constructys. L’Opco va ainsi proposer prochainement un « atelier compétences, inspiré des Fresques du climat et de la construction », des modes de formation interactifs et ludiques qui connaissent un succès grandissant dans les entreprises. « Il s’agit de proposer à nos entreprises une réflexion sur la transformation à venir de nos 80 métiers », poursuit Sébastien Bouleau, convaincu que « la prise de conscience est un levier essentiel ».

La transition numérique, une perspective plus lointaine

La prise de conscience n’est pas du tout de la même ampleur en ce qui concerne l’impact de la transition numérique, qui apparaît moins systémique aux yeux des chefs d’entreprise : seuls 22% des dirigeants l’estiment actuellement fort. Cette proportion est notablement plus forte chez les dirigeants d’entreprises de 50 salariés et plus, jusqu’à 58% pour les entreprises de 250 salariés et plus. Certains secteurs ne se considèrent quasiment pas concernés par ce sujet : dans l’industrie (94%) et la construction (95%), les dirigeants estiment que la transition numérique aura un impact « faible ou nul ».

Près de six dirigeants sur dix (56%) estiment que leur entreprise est « prête » à faire face aux conséquences de la transition numérique. Un bémol dans l’industrie : 73% des dirigeants jugent que leur entreprise n’est « pas prête ».

  • Quand l'intelligence artificielle se déploie dans les entreprises

    Une part substantielle des entreprises déploie déjà l’IA ou une technologie qui y est assimilée. C’est l’un des enseignements d’une enquête publiée en 2023 par France Travail (ex Pôle emploi). Cette étude, intitulée « Les employeurs face à l’intelligence artificielle », s’est focalisée sur les établissements de 10 salariés ou plus, ce qui occulte les plus petites entreprises, qui sont aussi les plus susceptibles d’être à l’écart de la transition numérique. Cependant, ces travaux suggèrent que « l’usage de technologies liées à l’IA n’est plus marginal, même s’il n’est majoritaire dans aucun secteur », pointe Cyril Nouveau, directeur des statistiques, des études et de l’évaluation au sein de la Direction générale de France Travail. « En mai 2023, 31% des employeurs déclaraient utiliser des technologies liées à l’IA et 4% indiquaient être en train de les déployer. Il y a des différences sectorielles : cet usage est plus développé dans l’industrie, où la moitié des établissements déclarent mettre en place ces technologies. Dans la finance également, où ils sont 44 % et dans le commerce, où la part est de 40 % », précise-t-il. 

    La formation des salariés a été fortement mobilisée par les entreprises qui ont déployé ces technologies. « Deux tiers des employeurs ont formé leurs salariés suite à l’introduction des technologies liées à l’IA. Un peu plus d’un cinquième a procédé à des recrutements – une proportion qui double presque dans le secteur de la finance. Ces recrutements surviennent d’abord dans la protection des données ou des métiers très spécifiques d’ingénieurs en IA ou de chefs de projet en big data », indique Cyril Nouveau. Mais ces deux méthodes ne sont pas les seules utilisées par les entreprises qui souhaitent utiliser l’IA : « Une autre solution mobilisée par les employeurs est le recours aux prestataires extérieurs, qui concerne à peu près un tiers des établissements qui ont mis en place des technologies liées à l’IA. »

    Découvrir l'étude de France Travail

« Que l’on considère la transition numérique ou la transition écologique, le sentiment d’être confronté aux conséquences des transitions va croissant avec la taille de l’entreprise. Il en va de même avec le sentiment d’être prêt à y faire face. Il est notable que la transition écologique apparaît plus concrète dans son impact que la transition numérique, notamment parce que pour de nombreuses entreprises, les moyens de production sont très liés à la consommation d’énergie, un enjeu auquel elles ont été fortement confrontées ces dernières années », analyse Laurence Bedeau.

Les employeurs embrassent leur rôle en matière de développement des compétences des salariés

Face aux transformations, les dirigeants et dirigeantes d’entreprises sont une écrasante majorité (91%, dont 56% « tout à fait ») à considérer qu’ils ont pour rôle de développer les compétences et les connaissances de leurs salariés. Ce sentiment prévaut quel que soit le secteur considéré ou la taille de l’entreprise. 

A écouter les dirigeants interrogés par le cabinet Elabe, le chantier des compétences apparaît considérable. Seuls 22% estiment que les compétences de leurs équipes sont « totalement » adaptées « aux besoins et opportunités en lien avec la transition écologique ». Pour la transition numérique, la proportion est plus basse encore (18%). C’est dans le secteur de la construction que l’inadaptation des compétences est le plus largement perçue. Pour répondre à cet enjeu, les dirigeants misent d’abord sur la formation (45% déclarent en avoir déjà proposé), l’évaluation du niveau de compétences (38%) et le tutorat interne (30%).

Plusieurs difficultés accompagnent ces constats. Les employeurs pointent notamment les effectifs insuffisants (54%), le coût des formations trop élevé (52%) et le manque d’information sur les transitions et leurs conséquences (43%). « Alors que les dirigeants considèrent que développer les compétences des salariés est de leur responsabilité, il y a comme un rendez-vous manqué, faute de moyens. Pour qu’une entreprise puisse travailler sur l’employabilité de ses salariés, il faut des ressources humaines, une capacité à analyser le marché, à connaître et même anticiper les normes et les réglementations… Autant d’atouts dont beaucoup de petites structures ne disposent pas », constate Laurence Bedeau. Ainsi, près de 4 dirigeants sur 10 (37%) déclarent n’avoir mis en place, pour le moment,  aucune action de développement des compétences relatives aux transitions écologique et numérique.

Des pistes pour lever les obstacles

Il existe des pistes pour lever les obstacles. Sébastien Bouleau, à la tête de Constructys, note que pour ce qui concerne les employeurs de la construction, « il ne devrait pas y avoir de freins sur les coûts des formations pour les entreprises ». « Le taux de prise en charge par l’Opco peut aller jusqu’à 100% des couts pédagogiques avec une prise en charge des salaires des stagiaires », précise-t-il. De plus, Constructys se targue de proposer un éventail de réponses aux entreprises confrontées à la transition écologique. « Nous avons déployé un outillage complet, avec différents diagnostics en ligne selon leur niveau de maturité pour permettre à nos adhérents de comprendre où ils en sont. Ils peuvent ensuite envisager des actions de formation adaptées. Et s’il apparait qu’elles ont besoin de réfléchir en profondeur sur leur modèle économique, nous pouvons aller jusqu’au financement d’un accompagnement par un consultant spécialisé de 10 jours, qui va aider les dirigeants d’entreprise à construire un plan d’action afin d’adapter leurs compétences pour faire face à ces transitions », détaille Sébastien Bouleau. L’Opco vise 15 000 diagnostics transition écologique par an d’ici 2025 et plus de 1000 « diag performance » réalisés avec des consultants. Déjà, en 2023, plus de 30 000 bénéficiaires ont été formés sur les enjeux de transition écologique.

  • Méthodologie de l'enquête

    L'enquête a sollicité 402 dirigeants d’entreprise d’au moins 1 salarié, exerçant le poste de chef d’entreprise ou faisant partie du comité de direction (président, DG, PDG, gérant, DRH, DAF…), interviewés par téléphone du 20 novembre au 18 décembre 2023. Représentativité assurée selon la méthode des quotas appliquée aux variables de taille d’entreprise et secteur d’activité. 

    Compte-tenu de la structure du tissu économique français (beaucoup d’entreprises de 1 à 9 salariés), un échantillon « raisonné » a été constitué pour permettre une lecture par taille d’entreprise. Pour garantir la représentativité de l’échantillon et la lecture globale, chaque taille d’entreprise a été remise à son « bon poids » lors des traitements statistiques.